MICHEL DE L’HOSPITAL
Chancelier de France au temps des guerres de Religion
Qui se souvient aujourd’hui de l’illustre Michel de L’Hospital ? Bien peu d’entre nous ; et rares sont ceux qui peuvent en parler un peu. Ce court article nous offre l’occasion d’évoquer un aspect particulier de sa personnalité fertile, riche de multiples talents. Car L’Hospital est tout à la fois humaniste, juriste, parlementaire, poète, érudit, homme d’Etat… Cet article nous permet d’insister sur un aspect de l’œuvre du grand chancelier : sa volonté affirmée, constante, d’établir et de protéger la paix autant que possible.
Michel de l’Hospital serait né entre 1504 et 1507. Son père, docteur en médecine faisant partie de l’entourage proche du connétable de Bourbon, suit ce dernier dans sa fuite vers l’Italie. Michel de l’Hospital doit lui-même quitter Toulouse, où il étudiait le droit, pour se rendre aux universités de Padoue et de Bologne. C’est peut-être à cette époque qu’il s’imprégna, par la lecture de Cicéron, d’un humanisme civique et d’une culture de l’amicitia se vouant à l’utilité commune. Son retour en France daterait de 1533.
En août 1536 (?), il est pourvu d’un office de conseiller au parlement de Paris et se marie le mois suivant avec la fille du lieutenant criminel Morin, qui basculera dans le calvinisme. C’est le premier palier d’une progressive promotion socio-politique. Le second concerne les années 1547-48, quand il est envoyé par Henri II à Bologne en tant qu’ambassadeur au concile déplacé depuis Trente. Il revient en France comme curateur d’Anne d’Este promise au jeune François de Lorraine. Ses appuis se partagent ainsi entre la maison de Lorraine et la monarchie (il est bientôt nommé chancelier de la duchesse Marguerite de Berry, la sœur d’Henri II). En octobre 1553, il est pourvu, sur intervention du cardinal de Lorraine, d’un office de maître des requêtes, poursuivant son avancement avec un office de conseiller à la Cour des aides en 1554, puis, en 1555, de président en la Chambre des comptes.
Le troisième palier est décisif. C’est le cardinal de Lorraine qui aurait suggéré à Catherine de Médicis sa nomination comme chancelier (avril-juin 1560), dans le contexte très troublé des événements qui suivent la conjuration d’Amboise et qui voient les huguenots chercher à occuper par la force les espaces cultuels catholiques et détruire les images saintes. La radicalisation des antagonismes religieux le conduit à évoluer dans ses positions. Au début hostile, à ce qu’il semble, à une politique de concessions trop signalées à l’égard des réformés, il se veut d’abord, surtout en décembre 1560, lors de sa harangue d’ouverture des États d’Orléans, le défenseur de la paix civile, dans un appel aux catholiques comme aux protestants à se savoir d’abord des chrétiens : « ostons ces mots diaboliques, noms de partis, factions et séditions… ». Il est hostile alors aussi bien à une continuation ou une reprise des persécutions et des violences qu’à une publicisation de la « nouvelle religion ». Il estime que le travail de la monarchie doit être polarisé sur une œuvre de réformation qui aiderait à la réduction des abus religieux, politiques, sociaux ou économiques. Il veille ainsi sur la rédaction des 150 articles qui composent l’ordonnance d’Orléans : réforme de l’église gallicane, réforme de la justice royale, annonce d’une réduction du nombre des offices, et d’une substitution de l’élection à la vénalité… Certain que la conscience ne peut être contrainte et que la force ne peut conduire qu’à toujours plus de violences et de haines, il en vient à accepter le principe d’une liberté privée de conscience (déclaration du 19 avril 1561 et surtout édit de juillet 1561), tout en apportant son soutien à la reine mère à l’occasion du -colloque de Poissy qui visait à poser les bases d’une concorde entre les théologies catholique et calvinienne.
Mais la déstabilisation accentuée de la situation porte Michel de l’Hospital à se résoudre à glisser de l’idéal de concorde à celui d’une acceptation provisoire du fait de la -division confessionnelle. Cette évolution passe par la publication de l’édit du 17 janvier 1562, qui concède, sous certaines conditions, aux réformés à la fois la liberté de conscience et de culte. Pour le chancelier, il faut avant tout -préserver l’État comme puissance de paix civile, sans laquelle les Français risquaient de basculer dans la guerre et la barbarie. L’initiative était radicale, car elle dépassait de loin la paix d’Augsbourg qui régissait depuis 1555 les relations interconfessionnelles dans l’Empire. Pour la première fois dans l’histoire de la chrétienté occidentale, dans un même État, une loi faisait vivre les fidèles de confessions rivales ensemble. Pour les catholiques exclusivistes, seul un homme qui ne croyait pas en Dieu, un « athéiste », ou qui était un huguenot dissimulé pouvait cautionner un édit qui ne pouvait qu’attirer la colère divine sur le roi et ses sujets. Dans la même perspective irénique, le chancelier supporte encore l’initiative de Catherine de Médicis, en janvier 1562, de réunion d’un petit colloque de théologiens qui s’efforcent de trouver une solution de « moyennement » à la question capitale des images et du culte qui leur était rendu par les fidèles catholiques, dénoncé comme idolâtrie par les huguenots.
C’est ici qu’il faut s’intéresser à la question de la religion de Michel de l’Hospital. Ses poésies latines certifient qu’il est un évangélique nourri d’Érasme et peut-être de Lefèvre d’Étaples. Dans la même sphère que Rabelais ou Claude d’Espence, il a la conviction augustinienne de la faiblesse de l’homme marqué par le péché, qui ne peut rien par ses propres forces ou par son savoir, mais qui, une fois perçue l’infinie miséricorde d’un Dieu donnant sa grâce universellement, peut coopérer, grâce à son libre-arbitre, à l’œuvre de salut. Gratuité du salut, foi « nourricière », christocentrisme arqué sur la prière et la lecture de la Bible, « feu sacré » de la grâce palpitant dans le cœur de l’homme et l’appelant à faire le don de soi au même que soi qu’est l’autre et donc à la chose publique, secondarisation des pratiques extériorisées… Une religion d’espérance dans l’infinie bonté d’un Dieu de rédemption et d’amour, une foi nourrie de charité, une croyance innervée d’une sagesse de la mediocritas…
Le déclenchement de la première guerre de Religion marque un échec temporaire de cette politique qui dissimule donc, sous le souci de la conservation de la res publica, un acte de foi; mais le chancelier revient au premier plan avec la paix d’Amboise (mars 1563). Il entame un grand travail de réforme de l’État, avec la proclamation de la majorité de Charles IX à Rouen le 17 août 1563, avec l’édit sur les juridictions consulaires de novembre 1563, avec le grand voyage royal, et surtout la grande ordonnance de Moulins de février 1566. Son travail le porte à vouloir limiter le rôle du Parlement à la seule sphère judiciaire. À ses yeux, le roi possède une autorité divine qui fait que ses lois ne doivent souffrir aucune correction ou discussion. Une autorité divine qui a la mission de lutter par la douceur et la persuasion contre des passions religieuses qui ne peuvent que conduire au chaos, parce que le malheur de la division religieuse est un châtiment envoyé par Dieu pour punir les chrétiens de leurs vices et offenses. Seul Dieu, tout puissant, est en mesure, dans le cours d’une paix qui, régie par l’autorité royale, verrait les Français s’amender et se réformer, de restaurer l’unité de foi du royaume, dans un temps à venir, mais imprévisible. Absolutisme et modération donc.
La politique, même quand elle semble dissocier le spirituel du temporel, est traversée par la croyance en un Dieu de pardon et d’amour. L’éclatement de la seconde guerre de Religion, puis surtout de la troisième, sanctionne cette immense espérance. Le 7 octobre 1568, il doit restituer les sceaux.
Retiré à partir de 1568 sur ses terres du Vignay, Michel de l’Hospital assiste de loin au massacre de la Saint-Barthélemy. Il meurt le 13 mars 1573. C’est seulement en 1585 que paraissent les Michaelis Hospitalii epistolae seu sermonum libri sex, un corpus de textes qui, peut-être, servit de fil directeur à la pensée des politiques qui contribuèrent par leurs écrits à la victoire d’Henri IV.